lundi 7 janvier 2013


SUR LA RÉCENTE DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
BILLET 3

(Sartè da à strada di Mola) 


Dans un article des cahiers du conseil constitutionnel (http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/cahiers-du-conseil/cahier-n-12/les-statuts-de-la corse.52101.html) publié en mai 2002, Michel BERNARD, Président de section honoraire au Conseil d'État, publiait une étude sur les statuts de la Corse.

Il y livre une analyse particulièrement intéressante sur le principe d'égalité devant la loi au regard des divers statuts de la Corse.

Il notait que le CC a estimé à plusieurs reprises que des dispositions des statuts de la Corse méconnaissaient le principe d'égalité devant la loi. Ainsi ont été censurés :  

→ La notion de « peuple corse, composante du peuple français », contraire à la fois aux deux principes d'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine et d'indivisibilité de la République (Décision n° 91-290 DC).
→ L’incompatibilité entre le mandat de conseiller à l'Assemblée de Corse et celui de conseiller général, alors que sur l'ensemble du territoire de la République le mandat de conseiller général est cumulable avec celui de conseiller régional, contraire au principe d'égalité devant la loi (Décision n° 91-290 DC).

Mais Michel BERNARD note également que le CC a entériné des mesures que certains contestaient :

→ En 1982, il a jugé que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur édicte des mesures d'amnistie ne s'appliquant qu'à des infractions en rapport avec la détermination du statut particulier de la Corse (Décision n° 82-138 DC).
→ En 1991, il a décidé que la situation des listes électorales des communes de Corse présentait des particularités qui autorisaient le législateur, à arrêter des modalités spécifiques de révision des listes électorales, sans méconnaître le principe d'égalité devant la loi (Décision n° 91-290 DC).
→ En 2002, il a estimé que le transfert des compétences de l'État à la collectivité territoriale de Corse ne serait pas constitutif d'une atteinte au principe d'égalité « eu égard aux caractéristiques géographiques et économiques de la Corse, à son statut particulier au sein de la République et au fait qu'aucune des compétences attribuées n'intéresse les libertés publiques, les différences de traitement qui en résulteraient entre les personnes résidant en Corse » (Décision n° 2001-454 DC).

Ces développements démontrent que le CC prend ses décisions en fonction des principes de droit constitutionnel sur lesquels il a la charge de veiller, sans ostracisme quelconque envers l’île comme certains le laissent penser.

S’agissant du principe d’égalité devant les charges publiques ou devant l’impôt son propos mérite d’être étudié avec attention car il rappelle :  

→ Qu’en 2002 le CC a admis une disposition accordant aux employeurs de main-d’œuvre installés en Corse le bénéfice d'une aide de l'État dans la limite de 50 % des cotisations patronales sur le régime obligatoire de sécurité sociale des salariés agricoles.

Pour décider qu’elle n'était pas contraire au principe d'égalité, il a relevé qu'elle « est édictée dans la perspective d'un redressement de l'agriculture corse dont le législateur a pu estimer la situation dégradée au regard d'indicateurs objectifs » et qu'elle « est fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec le but d'intérêt général poursuivi par le législateur » (Décision n° 2001-454 DC)

→ Mais qu’en 2000 il avait déclaré contraire à la Constitution l'article 64 de la loi de finances rectificative pour 2000 faisant bénéficier les exploitants agricoles installés en Corse d'un plan d'apurement de leurs dettes sociales pouvant comporter des reports et remises de ces dettes.
Cette fois il avait estimé qu'il ne résultait ni de la loi ni des travaux préparatoires qu'une situation particulière à la Corse justifiait que les exploitants agricoles qui y sont installés bénéficient seuls de ces mesures et que " ni la loi, ni les travaux préparatoires n'évoquent un motif d'intérêt général de nature à fonder une telle différence de traitement ". (Décision n° 2000-441 DC)

La différence de solution entre ces deux décisions s’expliquait par le fait que le législateur s'est appuyé, pour le texte jugé en 2002, sur des indicateurs objectifs examinés lors des travaux préparatoires, comme le revenu moyen par exploitation (24000 francs en Corse contre 80000 francs en France continentale en 1998), afin d’estimer que l'agriculture corse était dans une situation dégradée justifiant des mesures particulières d'aide en sa faveur.

Conclusion : on voit donc que le CC est enclin à prendre en compte des situations particulières pour peu que soit établie « une situation dégradée au regard d’indicateurs objectifs » et « fondée sur des critères poursuivant un but d’intérêt général ».
Se pose donc la question de savoir pourquoi cette situation dégradée et l’intérêt général n’ont pas été retenus pour la prorogation du dispositif d’exonération fiscale pour les droits de mutation des immeubles en Corse.
Ce sera l’objet du billet suivant.


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