INTERVENTION DEVANT LA CHAMBRE DES MÉTIERS
SUR LE PLU D’AJACCIO ET LA SITUATION ÉCONOMIQUE
Le 8 décembre 2014, je suis intervenu devant la Chambre des métiers de Corse du Sud à la demande de son Président, François GABRIELLI. Voici mon propos :
Vous m’avez
demandé d’évoquer les conséquences économiques d’une future annulation du PLU
d’Ajaccio.
J’ai donc lu avec attention le
long exposé qu’a présenté le commissaire du gouvernement avant que le Tribunal
administratif ne rende son jugement.
Il a retenu comme sérieux 2
moyens de forme pouvant entraîner l’annulation totale du PLU et 4 moyens de
fond pouvant entraîner son annulation partielle.
L’annulation totale repose :
1 - Sur
l’irrégularité de la concertation
La concertation s’est interrompue
pendant 4 ans, entre juin 2007 (premier
bilan de la concertation) et juillet 2011 (date d’élaboration du nouveau
projet d'aménagement et réouverture de la concertation).
Elle aurait dû alors reprendre en
sa totalité, avec réunions et expositions publiques destinées à expliquer les nouveaux
objectifs et non au travers du seul registre supplémentaire d’observations.
2 – Sur l’absence de communication de la note explicative de synthèse
avant la délibération
Dans les communes de 3 500
habitants et plus, la convocation aux réunions du conseil municipal doit être
accompagnée d'une note explicative de synthèse portant sur chacun des points de
l'ordre du jour.
Or la note relative au PLU, bien
que remise un peu plus tard, a été omise dans la convocation, rendant de la
sorte irrégulière ladite convocation des conseillers municipaux.
Ces deux moyens de
forme peuvent entraîner l’annulation totale du PLU.
Vous en conviendrez
avec moi, ce sont de petites causes aux grands effets !
L’annulation partielle repose :
1 – Sur la protection
des terres à forte potentialité agricole
Dans le secteur de LORETO, des
parcelles sont composées de terres cultivables présentant une forte
potentialité agricole et sont exploitées par le seul maraîcher en agriculture
biologique de la commune. De plus ces terres sont vierges de toute
construction.
Il en va de même pour les
parcelles du secteur de SAN BIAGGIU, composées de terres cultivables présentant
une forte potentialité agricole, vierges de construction et servant à
l’alimentation d’un troupeau ovin laitier.
Il en est de même pour les
parcelles du secteur de SUARTELLO, vierges de construction, composées de terres
cultivables présentant une forte potentialité agricole et accueillant des
terrasses plantées en maraîchage et vergers d’agrumes.
Par suite, les classements de la
commune les rendant inexploitables en raison de risques d’inondations ou de
risques technologiques sont irréguliers.
2 – Sur l’extension
d’urbanisation (consorts PERALDI, chambre agriculture 2A et U LEVANTE)
Sur le secteur de BUDICCIE sont
prévus la future centrale électrique au gaz naturel et le futur pôle
universitaire. Mais ces installations doivent être réalisées en continuité d’un
espace urbanisé existant ce qui n’est pas le cas.
3 – Sur les espaces
remarquables
Sur le secteur D’ACQUA LONGA, des
parcelles sont classées ZNIEFF (zones d’intérêt écologiques faunistique et
floristique) et ne peuvent être ouvertes à l’urbanisation.
4 – Sur les espaces
boisés
Le classement en espaces boisés
des espaces de la commune d’Ajaccio fait passer les zones concernées de 1300 à 3200 hectares , soit 1900 hectares de
plus.
Or le rapport de présentation du
PLU ne fait pas apparaître une telle priorité, ce qui rend cette progression
infondée.
Il ne fait aucun doute que le classement des
secteurs concernés par ces quatre moyens (LORETO, SAN BIAGGIU, SUARTELLO,
BUDICCIE, ACQUA LONGA et les espaces boisés complémentaires) sera annulé et que nous en reviendrons au
classement antérieur.
Reste à savoir ce que fera le
Tribunal pour les deux moyens de forme, c’est-à-dire s’il se prononcera
également sur une annulation totale.
Je ne suis pas Madame Soleil,
mais je dois vous rappeler que s’il était annulé le PLU ne serait que la 16ème
annulation partielle ou totale, depuis quelques années en Corse.
Je dois également vous dire
qu’avant de se prononcer le commissaire du gouvernement a participé à un
prédélibéré en présence de tous les magistrats ou sont examinés tous les
moyens.
Enfin nous savons que le Tribunal
de Bastia est extrêmement vigilant sur les procédures d’urbanisme, d’autant que
chaque commune qui construit son PLU semble ne pas avoir étudié les raisons qui
ont conduit à l’annulation des autres PLU.
Donc je crains le pire pour Ajaccio, même si je ne le
souhaite pas !
&&&
En pratique que provoquerait une annulation quelle soit
partielle ou totale ?
C’est à la fois simple et compliqué.
Il faut savoir que l'annulation
d'un PLU, remet en vigueur le PLU ou le POS immédiatement antérieur.
Conséquences
1 : l’annulation n'entraîne pas l'annulation des PC délivrés et qui sont
devenus définitifs avant cette annulation.
Conséquence
2 : Les nouvelles demandes sont instruites suivant le PLU ou le POS
antérieurs
Il y a instabilité juridique
lorsque le PC a fait l’objet d’un recours contentieux et que le PLU est
parallèlement annulé.
Si le tribunal retient que le
permis est illégal par rapport aux règles de l’ancien POS ou de l’ancien PLU,
le PC est annulé.
&&&
Cependant en qualité de Président de la
chambre régionale de commerce et d’industrie je dois dépasser l’horizon
ajaccien.
L’annulation d’un PLU a des
conséquences économiques sur le secteur du BTP, je ne vous apprends rien.
Mais ces conséquences sont plus
importantes en Corse qu’ailleurs.
En effet l’économie de la Corse est fragile car elle
repose sur trois rentes :
→une rente
foncière pour la construction qui représente 11 % de l’activité économique en
Corse, alors que ce secteur ne représente que 7 % de l’activité économique en
moyenne nationale;
→une rente
environnementale pour le commerce, l’hébergement et la restauration, qui
représente 21 % de l’activité économique en Corse, alors que ce secteur ne
représente que 14 % de l’activité économique en moyenne nationale;
→une rente de
suremploi dans le secteur administratif au sens large, qui représente 31 % de
l’activité économique en Corse, alors que ce secteur ne représente que 22 % de
l’activité économique en moyenne nationale;
La 1ère rente (foncière) est
dépendante de règles d’urbanisme mal définies (15 plan d’urbanisme annulés sans
compter Ajaccio).
La 2ème rente (environnementale)
est dépendante des transports, avec une SNCM qui ne va plus exister dans
quelques mois et du respect de nos sites naturels, dont certains font peu de
cas.
La 3ème rente (suremploi public)
est menacée par la baisse des dépenses de l’Etat afin de maîtriser le déficit
public.
Un PLU annulé entraîne donc une
baisse notable d’activité dans une microrégion.
C’est d’autant plus fort que le
secteur tournait à plein régime.
Mais la crise, le manque de
clairvoyance des élus et les difficultés d’interprétation de la loi sont passés
par là.
Les chiffres sont sans appel !
Suivant les statistiques du
ministère du logement il y a eu 5300 logements autorisés en Corse entre
novembre 2012 et octobre 2013.
Ils ne sont plus que 3630 entre
novembre 2013 et octobre 2014 : 31,5 % de baisse !
En France la baisse a été de 13
%.
Nous sommes bien dans une économie de rente : la baisse générale
de 13 % provoquée par la crise au plan national, est amplifiée ici, presque
trois fois plus, avec 31,5 %, par l’importance du secteur.
Toujours suivant ces mêmes
chiffres les entreprises ont résisté pour le moment, je dis bien pour le
moment, en lissant leur activité.
Il y a eu 3080 logements
commencés en Corse entre novembre 2012 et octobre 2013.
Ils sont 3030 entre novembre 2013
et octobre 2014 : 1,6 % de baisse, alors qu’elle a été de 12 % en moyenne
nationale.
Mais que feront-elles après ce lissage d’activité ?
Malheureusement chacun le
sait : ce sera difficile pour ne pas dire plus….
&&&
Alors quelles solutions sont préconisées par
les professionnels du secteur et les économistes ?
Ils constatent tout d’abord que les
aides à l'investissement locatif, ont couvert la France de résidences
à moitié vides, qui ont affaibli les rentrées fiscales de l’Etat et mis en
difficulté des dizaines de milliers de propriétaires.
Leur vision
est simple : mettre fin à la
construction pour la construction et construire utile.
Construire utile c’est aider les
entreprises à s’orienter sur des programmes d'efficacité énergétique.
Les maisons, logements
et bureaux absorbent le tiers de la consommation française d'énergie. Les
techniques pour faire beaucoup mieux sont connues. Ils appellent donc le
secteur à rajouter une nouvelle spécialisation à leur compétence
habituelle : la spécialisation énergétique.
Chacun convient que la solution
de la crise du bâtiment, c'est de l'investissement utile à long terme
&&&
Mais pour investir, vous le savez, il faut des
fonds, il faut des dispositifs de financement.
Et là commencent les difficultés.
Il faut savoir que l’épargne
collectée en Corse finance l’investissement dans le reste du pays.
Suivant les chiffres de la Banque de France, il y a eu
entre 2008 et 2013, 7700 millions d’euros de plus d’épargne collectée que de
crédits accordés en Corse.
Pour vous donner un ordre de
grandeur 7700 millions d’euros, cela fait 4 PEI, oui 4 PEI de 1950 millions
d’euros !
Au surplus vous connaissez comme
moi les difficultés que les entreprises corses connaissent pour se financer,
tant en crédit de trésorerie qu’en crédit d’équipement.
Ceci m’a conduit à demander au
préfet BORIUS des assises du financement des entreprises.
L’idée a été bien accueillie,
mais pour le moment il n’y a rien de concret.
Or comment
voulez vous que le tissu des entreprises de Corse, qui comprend 6250
entreprises (chiffres INSEE au 31 décembre 2011), avec près de 6000 d’entre
elles qui ont moins de 10 salariés puissent s’adapter sans disposer de
dispositifs d’investissement adaptés ?
Comment voulez
vous que ces 6000 très petites entreprises fassent individuellement le poids
face aux banques ?
Comment voulez
vous que ces 6000 très petites entreprises fassent individuellement le poids
face aux agences et offices qui les inondent de dossiers ?
Comment voulez
vous que ces 6000 très petites entreprises fassent individuellement le poids
face aux organismes de recouvrement sociaux et fiscaux ?
Je vous le dis, ce n’est que par
un regroupement de nos atouts, ce n’est que par des actions concertées entre
organismes consulaires, que nous auront quelques chances de progresser et d’aider
nos entreprises et nos artisans.
Cette concertation est d’autant
plus souhaitable à mon sens, que les fortes restrictions budgétaires des
chambres de commerce, des chambres des métiers et des chambres d’agriculture
prévues dans le PLF 2015 vont modifier profondément la manière de fonctionner
des institutions consulaires.
Il nous faudra établir des priorités.
Il nous faudra envisager de
travailler ensemble de manière continue et pourquoi pas de mutualiser les
services de prospections pour faire face aux difficultés.
Vous m’avez demandé d’intervenir
dans votre assemblée générale : je vous en remercie car j’y vois un signe fort
de ce futur travail en commun.
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